Ludivine Blanc (JETS de Sarcelles) a décroché 6 titres et battu 3 records aux Championnats du monde de nage en eau glacée. Exceptionnel ! (photo : Stéphane Kempinaire)
Du 12 au 15 janvier, Ludivine Blanc (28 ans) a connu le sommet de sa carrière. La sociétaire des JETS de Sarcelles était pourtant 10 fois championne de France en bassin, recordwoman du monde en sauvetage sportif, recordwoman du Défi Monte-Cristo (eau libre) et finisher du DesertusBikus (un raid de 1300 km à vélo). Mais à Samoëns (Haute-Savoie), elle a fait encore mieux en décrochant 6 titres et 3 records aux Championnats du monde de nage en eau glacée. Un authentique exploit puisqu’elle n’a découvert la discipline qu’il y a trois mois. Rencontre juste après ces Mondiaux sous l’égide de l’International Ice Swimming Association (IISA) qui a réuni 655 nageurs de 41 pays.
- Ludivine, à quoi ressembla votre entraînement pour ce grand rendez-vous ?
Par semaine, j’ai nagé 2 à 3 fois en bassin dans le public (entre 1,5km et 4 km en fonction du monde, du temps disponible et de la motivation du jour), une fois en lac le week-end (pour nager environ 50 m dans de l'eau froide, à 10°C). J’effectuais deux séances de bains froids si possible dans une eau à 9° C (pendant 3 à 5 minutes) et une séance de cryothérapie (à – 90° C dans une cabine à air sec pendant 4 minutes).
- Avez-vous fait appel à des spécialistes pour vous guider dans cette nouvelle discipline ?
Oui. J’ai pu être conseillée par Arthur Guérin (recordman du monde et champion du monde d'apnée en eau glacée), François Raoux (cardiologue de l'INSEP et de l'institut Montsouris) Jacques Tuset et Nage Évasion (spécialistes de l’eau libre), Cryomed (une salle de cryothérapie) et Marine Leleu (finisher de l’Enduroman, qui est venue dans l'eau avec moi pendant mes protocoles de froids pour analyser ma résistance au froid en tant que sujet témoin). Et bien sûr, ma famille et le club des JETS de Sarcelles ont été de précieux soutiens.
« Pour le protocole de froid, je suis un peu spéciale… »
- Quel a été votre « protocole de froid » pendant la compétition ?
Je suis un peu spéciale…Contrairement aux autres, je rentre froide dans l’eau et non réchauffée…Je porte un gilet de cryo car François Raoux, son équipe et moi, nous sommes rendu compte que je tolérais mieux le froid si ma température était moins élevée que la normale...Du coup je m'échauffe à sec 1 heure avant l'épreuve, je porte le gilet de cryo 30min avant la course, j'évite de porter ma parka pour ne pas trop me réchauffer (je suis en peignoir fin...) Puis je nage ! Pour le réchauffement, je suis passée 2 fois dans le sauna (50 m dos et 100 m nage libre) mais je n'aime pas cette méthode... Elle me fatigue plus... Je préfère me réchauffer naturellement en marchant comme après le 50 m nage libre. Mon afterdrop (moment où le corps tente de se réchauffer en tremblant) est nettement moins violent du coup.
« J’ai battu 3 records du monde ce qui fait de moi un membre du Guinness Book »
- Que retiendrez-vous de ces Championnats du monde en eau glacée ?
J’ai savouré chaque instant. J'ai eu la chance d'être drivée par Catherine Plevinsky, Jacques Tuset et tout le staff de la FFN même si je ne faisais pas partie de l'équipe de France. Participer à mes premiers championnats du monde en France et faire retenir 3 fois la marseillaise était, pour moi, la meilleure manière de remercier toutes les personnes qui m'ont aidé et soutenu, peu importe les moments de ma préparation ! Qu'ils soient encore là ou non...J'ai écouté leurs conseils et ça a marché. Merci !
- Vous êtes la première depuis la création des Mondiaux (en 2015) à être invaincue sur une édition. Votre sentiment ?
C’est une grande fierté. D’autant que la concurrence était relevée. J’ai décroché 6 titres mondiaux (3 au scratch et 3 chez les 25-29 ans). J’ai aussi battu trois records du monde ce qui fait de moi un membre du Guinness Book des records. Pour mes premiers Championnats du monde dans cette discipline, c’est incroyable !
- Racontez-nous vos courses. La première, le 50 m dos, était dans une eau à 3,7° C alors que vous n’aviez jamais nagé à moins de 4,6° C. Quelles étaient vos sensations ?
J’appréhendais ! Mais finalement, l'entrée s'est bien passée et je me suis lancée (un peu comme je pouvais !) dans la course. J’étais en retard par rapport aux autres concurrentes car je n'avais pas bien entendu le coup de départ à cause de mes bouchons d'oreille. J'ai tout de suite senti le froid me saisir et j'ai joué sur une de mes qualités : mes jambes. J'ai accéléré tout le long de la course sur les jambes. Aux 25m, je commençais à boire de l'eau et à me refroidir. J'ai donc pensé à relever la tête pour éviter d'en avaler plus. Pour les 5 derniers mètres, j'ai encore tenté de relancer sur les jambes mais je me suis lancée sur le mur trop tôt... Ce qui fait que mon arrivée n'est pas optimale.
Cette épreuve m'a demandé énormément d'énergie. J'ai mis plus de 20h avant d'avoir une fréquence cardiaque "normale"... C'est pour cela que j'ai fait l’impasse sur le 100m dos. Je sentais que mes jambes allaient me consommer beaucoup trop d'énergie pour enchainer le 100m dos et le 100m crawl et que j'aurai subi les 2 épreuves, ce qui n'est pas l'intérêt.
Lutte acharnée sur le 100 m nage libre
- Sur le 100 m nage libre, vous vous mesuriez à la recordwoman du monde, Alisa Fatum. Ca a donné lieu à une lutte serrée…
Je savais qu’Alisa Fatum était une concurrente sérieuse ! Cette fille est impressionnante tant dans l'eau qu'en dehors. Mais je me suis laissé croire que j'avais ma chance de remporter la course. Sans oublier qu'il y a 5 semaines, j'étais incapable de faire 1 mètre dans une eau à moins de 12°C...Je me suis élancée difficilement car le mur glissait énormément... Et que le fond était noir. Je suis nageuse de bassin. Je suis habituée à suivre les petits carreaux au fond de l'eau. Là, pas de carreau. Juste la ligne d'eau et l'instinct pour nous guider droit dans le couloir. Grâce à mes courses en eau libre l'été, j'ai pu éviter de relever la tête trop souvent même si je l'ai fait pas mal de fois...
- Saviez-vous que vous étiez devant pendant la course ?
Je savais que j'étais devant au 50m. Il me restait simplement à maintenir l'allure. Sauf que non (rires). Alisa commençait à me remonter nettement et lors du dernier virage, nous nous sommes regardé. C'est là que j'ai compris qu'il restait un seul 25 m et que tout se jouerait dessus. J'ai accéléré le plus fort possible tout en essayant de nager le plus droit possible dans la ligne. Chaque écart me faisait perdre de précieux centimètre par rapport à elle. Lorsque j'ai senti que la fin du 25m arrivait, j'ai relevé la tête très rapidement pour estimer le nombre de coups de bras qu'il me restait avant de toucher le mur. Je savais qu'il m'en restait 3,5 environ. J'ai donc adapté ma nage en appuyant de toutes mes forces afin de faire une arrivée franche et nette sur le mur.
- Que ressentiez-vous quand vous avez touché le mur ?
Je n'ai pas réalisé ce qu'il se passait... Je savais que je devais sortir de l'eau. Mais tout mon corps manquait d’énergie... J'ai eu du mal à me soulever sur l'échelle pour sortir... Et j'ai dû mettre plus de 10 secondes pour être capable de me relever sur mes pieds, enlever les bouchons et entendre les félicitations du public
- Votre dernière course, le 50 m nage libre, vous a donné des sueurs froides. Vous avez été disqualifiée dans un premier temps. Pourquoi ?
Il semblerait qu'un arbitre ait considéré que je ne regardais pas dans la bonne direction pour le départ (il faut regarder le couloir dans lequel on va nager). Au bout de plusieurs heures, il a été décrété que j’avais bien fait les choses... Merci les vidéos et les enregistrements !!
« Ma fièvre n'était pas assez haute pour être très alarmante. J'ai donc pris le départ, transit de froid mais surmotivée. » - Ludivine Blanc sur le 50 m nage libre
- Ceci dit, vous décrochez là un nouveau titre mondial et améliorez le record du monde en 28’’85. Vous attendiez-vous à cela ?
J’étais stressée mais je connais ma spécialité par cœur. J'étais malade avant ; je ne savais pas si j'allais prendre le départ en raison de ma fièvre... Et puis le médecin m'a dit que pour un 100 m, il me l’interdirait mais que pour 50m cette décision me revenait. Ma fièvre n'était pas assez haute pour être très alarmante. J'ai donc pris le départ, transit de froid mais surmotivée. Il me restait un aller-retour et je savais comment placer mes mains. J'ai adapté mes pieds au départ pour ne pas glisser comme la veille et je me suis élancée.
Avec l'expérience des Championnats de France à Megève, je savais que j'allais sentir l'asphyxie plus tôt qu'en bassin chaud. J'ai donc opté pour une technique différente du chaud : respirer régulièrement (6 temps à l'allée et 4 au retour). Respirer régulièrement m'a permis d'éviter de relever trop souvent la tête pour me repérer car je pouvais suivre la ligne d'eau. Une fois au 25m, j'ai vu que j'avais de l'avance sur les lignes autour de moi mais je voulais terminer cette épreuve et finir le plus vite possible pour me réchauffer...
J'ai accéléré durant le 2e 25m et j'ai fait les 5 derniers mètres en apnée afin de faire une arrivée franche comme au 100 m. À l’arrivée, je voulais juste sortir de l'eau. J'ai vu les filles toucher le mur peu après et j'ai été félicitée par Alicia Fatum (et les autres filles) pour mes courses et ma rapidité. C’est à ce moment que j'ai réalisé que je venais de gagner ma 3e épreuve des championnats du monde et que 28'8 était bien mon temps, et donc un nouveau record du monde...Propos recueillis par Julien BIGORNE
>>> Les résultats de Ludivine Blanc